Dans
les années 90, prétextant de nouvelles priorités
comme le terrorisme, le trafic de drogue et la prolifération
des armes, le pacte UKUSA prit le parti d'étendre la
surveillance aux principales artères de communication
du monde.
Ainsi,
on affirme qu'Échelon, depuis à tous le moins
la fin de la guerre froide, ne poursuit plus l'objectif qui
était le sien au départ, à savoir la
défense contre l'Est, et est désormais un instrument
d'espionnage économique.
Dans
le rapport commandé par le STOA, Campbell étaie
cette thèse par de nombreux exemples; ainsi, Airbus
et Thomson CFS auraient subi des préjudices à
cause de l'espionnage économique.
L'espionnage
économique
L'orientation
des services de renseignement des États-Unis vers un
soutien direct à la politique commerciale de leur pays
n'est pas nouvelle. L' administration américaine sous
la présidence de Bill Clinton a clairement exprimé
le choix d'une intervention croissante de l'exécutif
et des services gouvernementaux en faveur du secteur industriel.
La création du National Council of economy répond
au même objectif de défense des intérêts
économiques des États-Unis par tous les moyens.
Depuis
quelques années, le gouvernement américain a
reconnu une capacité d'interception des télécommunications
à partir d'un système militaire d'écoutes
qui s'est diversifié. L'élément nouveau
est qu'à la suite du premier rapport au Parlement européen
de son service d'études (STOA) en 1998, certains responsables
officiels américains ont fait de multiples déclarations
pour justifier le réseau Échelon en avançant
deux raisons majeures : le développement de pratiques
commerciales déloyales de la part des Européens
et notamment des Français (argument économique
de moralité) et l'existence de capacités similaires
d'interception dans d'autres pays européens, en particulier
en Allemagne et en France.
Les présentations
de M. Michael V. Hayden, directeur de la NSA, ou de M. George
J. Tenet, directeur de la CIA, devant les membres du Congrès,
et en particulier leurs auditions à plusieurs reprises
devant les deux commissions spéciales en charge du
renseignement à la Chambre des représentants
et au Sénat, s'appuient souvent sur l'énoncé
de grands principes moralisateurs :
-
d'une part, les deux responsables des agences fédérales
ont toujours soutenu que les activités des services
de renseignement étaient compatibles avec les «
lois des États-Unis et les droits fondamentaux
des citoyens américains ». Ils ont ainsi
affirmé qu'aucune conversation privée de
citoyens américains ne faisait l'objet d'écoutes.
Ils ont rappelé que l'activité des services
de renseignement était strictement encadrée
par des mécanismes législatifs et réglementaires,
dont l'Executive order n° 12-333, que ces activités
devaient être approuvées par l'Attorney General,
que les agents des services de renseignement étaient
tenus de dénoncer les violations qu'ils pouvaient
constater, et que les Inspecteurs généraux
des services de renseignement (CIA, DIA, FBI ou NSA) faisaient
rapport au Président des États-Unis des
activités qu'ils estimaient illégales ;
-
d'autre part, trois objectifs semblent avoir été
fixés aux services de renseignement américains
: surveiller les entreprises qui rompent les embargos
décidés par l'ONU ou les États-Unis,
suivre les technologies duales pour éviter leur
utilisation dans la production d'armes de destruction
massive, moraliser le commerce international et éviter
ainsi que les entreprises américaines ne soient
pénalisées par les comportements délictueux
de leurs concurrents.
Les affirmations
des responsables des agences fédérales doivent
être relativisées au regard des considérations
suivantes :
plusieurs
exceptions permettent aux agences fédérales
américaines d'écouter les conversations privées,
notamment le soupçon qu'une personne travaille pour
un « pouvoir étranger », l'existence
d'un mandat d'une cour de justice ou le fait que les communications
se déroulent en dehors du territoire américain
(overseas). En outre, les autorités fédérales
auraient la possibilité de conserver des conversations
au-delà du délai légal de 24 heures
en dehors du territoire américain, donc de les exploiter
même lorsqu'elles ont été réalisées
par des citoyens américains ;
des
structures de coordination existent pour favoriser les échanges
entre le secteur privé et les administrations américaines.
Ces échanges ont bénéficié depuis
quelques années d'un transfert mutuel de personnels.
La CIA a embauché de plus en plus de jeunes disposant
déjà d'une première expérience
professionnelle dans le secteur privé. La NSA et
la CIA ont encouragé la reconversion d'une partie
de leur personnel vers le secteur privé. Les responsables
des services informatiques et de sécurité
des entreprises sont souvent d'anciens employés des
agences fédérales ;
les
méthodes mises en oeuvre pour contrôler certaines
activités sont similaires à celles visant
l'espionnage économique. Comme le reconnaissent plusieurs
membres du Congrès, il est quasiment impossible de
séparer ces activités. Le directeur de la
CIA affirme que l'agence intervient lorsqu'une entreprise
américaine pourrait être «lésée»
dans ses intérêts par un concurrent ne se conformant
pas à des pratiques loyales. Les informations sont
transmises aux ministères intéressés
(Treasury Department, Commerce Department, Justice Department,...)
qui peuvent alors décider d'avertir ou non l'entreprise
concernée.
Les propos
tenus par les actuels dirigeants des agences fédérales
en charge du renseignement rejoignent ceux de M. R. James
Woolsey, ancien directeur de la CIA. Dans deux articles, aux
tons d'ailleurs assez divergents mais empreints d'ironie et
provocateurs, il a reconnu que des écoutes avaient
été effectuées aux dépends d'entreprises
européennes. Il les a justifiées au nom de la
lutte contre la corruption et de la croisade contre le versement
de « pots-de-vin » par les groupes européens
à des Gouvernements tiers.
Lors
de son audition, M. R. James Woolsey s'est tout d'abord défendu
d'avoir affirmé que les Etats-Unis faisaient actuellement
de l'espionnage économique aux dépens de sociétés
étrangères. Il a affirmé que le titre
du Wall Street Journal employant le présent («
Why we spy our Allies ? ») était dû aux
journalistes et non à lui-même. Il a par contre
admis que, lorsqu'il était directeur de la CIA, certaines
écoutes concernaient des entreprises soupçonnées
de verser des pots-de-vin. Il a rappelé que 95 % des
informations provenaient des ressources ouvertes et seulement
5 % des sources secrètes sur des sujets déterminés.
Aux États-Unis, la communauté du renseignement
a toujours fait du renseignement économique pour trois
raisons (suivi des biens à double usage, respect des
sanctions économiques, utilisation de méthodes
frauduleuses de la part d'entreprises ou de gouvernements
étrangers). Il n'a jamais été question
de recueillir des secrets technologiques au profit d'entreprises
américaines.
M. R.
James Woolsey a également indiqué que lorsqu'il
était directeur de la CIA, des sénateurs l'avaient
interrogé pour savoir s'il était prêt
à engager l'agence vers l'espionnage industriel. Certains
journalistes ont interprété sa réponse
comme un soutien aux entreprises américaines. Mais
plusieurs analystes ont conclu que jamais le Gouvernement
américain n'autoriserait la participation d'une agence
fédérale à de telles activités.
De plus, les restructurations industrielles et la globalisation
des procédés au niveau mondial rendent difficile
l'attribution d'une nationalité aux entreprises. Il
est ainsi quelquefois impossible de savoir si on s'adresse
à une société étrangère
ou américaine. Aussi laquelle faudrait-il aider ?
Si la
presse américaine avait pu relever des cas où
les agences fédérales ont favorisé les
entreprises américaines, elle aurait été
ravie de dénoncer leur hypocrisie. La transparence
du système serait telle qu'il est impossible que des
détournements n'aient pas été connus.
De plus, l'espionnage ne correspond pas à l'objectif
primordial de sécurité et risquerait de détourner
les capacités d'enjeux plus importants.
Le
détournement à des fins économiques place
d'ailleurs les autres pays dans des situations difficiles,
notamment le Royaume-Uni. Les intérêts des États-Unis
et du Royaume-Uni peuvent diverger, par exemple en matière
de marchés d'équipements militaires ou d'aéronautique
civile.
Or le
Royaume-Uni participe à des interceptions dont les
résultats peuvent être quelquefois utilisés
contre les intérêts mêmes de ses entreprises
nationales ou de sa politique extérieure. Le cas du
marché perdu par le consortium Airbus est révélateur
puisque le groupe British Aerospace détient 20 % de
ce consortium.
De même,
la présence du Royaume-Uni dans le système est
encore plus préoccupante pour toutes les affaires relevant
de l'Union européenne s'il s'avère que l'Union
est « piégée » lors des négociations
internationales ou dans les sommets concourant à la
réforme des institutions communautaires ou encore au
développement de la politique européenne de
sécurité et de défense.
Des
ONG surveillées
Les
organisations non gouvernementales, comme la Croix-Rouge,
font partie des nouvelles cibles potentielles de la surveillance
électronique américaine de la NSA, d'après
le quotidien danois Ekstra Bladet. Cela confirme une enquête
du Sunday Times (février 2000) affirmant que des ONG
comme Amnesty International et Greenpeace ainsi que des personnalités
comme Mère Teresa et Lady Diana ont déjà
été dans le collimateur d'Echelon!
Une
série de documents des services secrets de l'armée
de l'air américaine évoque les nouvelles menaces
susceptibles de faire l'objet d'attentions particulières.
Des diapos, présentées lors d'un briefing en
1999, montrent une liste de terroristes internationaux puis
apparaissent le nom d'ONG comme la Croix-Rouge, à côté
de la mention « ami ou ennemi ? » Ces documents
émaneraient du 544th Intelligence Group,
division de l'US Air Force Intelligence Agency. Division qui
fait partie des maillons du réseau Echelon, selon les
preuves déjà obtenues par des spécialistes
américains.
«
Les ONG opérant à l'étranger sont souvent
surveillées pour les liens qu'elles entretiennent avec
des régimes controversés », écrivait
le Sunday Times le 27 février, dans un article co-signé
par le spécialiste Duncan Campbell. Il révélait
d'autres noms ayant déjà fait les frais d'interceptions
clandestines d'Echelon : Amnesty International, Greenpeace
et Christian Aid, une ONG très connue dans le Commonwealth.
Les bases britanniques d'Echelon ont participé à
ces opérations.
La
princesse Diana était aussi en ligne de mire tout comme
Mère Térésa pour leur engagement dans
la campagne contre les mines anti-personnelles (les États-Unis
refusent toujours de signer le traité d'interdiction).
Les
communications du Vatican, dont la diplomatie parallèle
est toujours très active, ont aussi été
écoutées pour le compte du gouvernement britannique.
Mark Thatcher, fils de l'ancienne Dame de fer, a lui été
surveillé pour son action dans des ventes d'armes en
Arabie Saoudite dans les années 80, toujours d'après
le Sunday Times.
Margaret Thatcher aurait par ailleurs utilisé l'aide
du Canada, l'un des cinq alliés officiels d'Echelon,
pour espionner deux membres de son propre gouvernement.
Des
actions internationales
Le
cas du Kurdistan est intéressant. Dun côté,
la CIA soutient à coups de millions de dollars les
Kurdes opposés à Saddam Hussein; de lautre,
elle renseigne les Turcs sur les allées et venues de
leur ennemi juré, Abdullah Öcalan, leader du Parti
des Travailleurs du Kurdistan, dont tous les déplacements
sont surveillés par la gigantesque centrale découtes,
la NSA . Cest ainsi que les services dAnkara ont
pu arrêter au Kenya le chef kurde honni ; en échange
de ces précieuses informations, le pouvoir turc a accepté
dintensifier sa collaboration avec les agences de renseignement
américaines...
echelon-online@fr.st
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