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AVERTISSEMENT

Ce document provient du journal Libération et date du 5 février 2003.

 

Ce que voient les espions

Jean-Dominique Merchet

Comment les différentes agences américaines recueillent des renseignements et, parfois, se foourvoient. Ne voient rien. Et surtout ne disent rien.

Le renseignement n'est pas une science exacte. En dépit des moyens considérables dont ils disposent, les services américains sont à la merci de fourvoiements, graves ou parfois cocasses. Ainsi, en mai 1998, la CIA n'avait absolument pas vu venir les essais nucléaires indiens –un pays dans lequel il est pourtant plus commode de travailler que dans l'Irak de Saddam Hussein. Ne pas voir... ou trop en voir.

«Dans les années 70, des photos aériennes montraient des filets sur les côtes cubaines, raconte l'historien Alexis Debat, qui prépare un ouvrage sur la CIA. Pour les experts, il s'agissait d'un camouflage de batteries antiaériennes. On s'est finalement aperçu que c'était simplement des filets de pêcheurs mis à sécher!» Trop en voir et parfois même forger des informations de toute pièces. Comme en février 1954, lorsque la CIA avait déposé des armes soviétiques sur les côtes du Nicaragua pour attirer l'attention sur le danger communiste en Amérique centrale.

Ces échecs et ses coups tordus ne doivent pas masquer les vrais succès. Ceux-ci sont rarement publics, car les «services» travaillent «pour les yeux seulement» des gouvernements. Comme mercredi à New York, les Etats peuvent choisir de mettre des informations classifiées sur la place publique. Devant le Conseil de sécurité des Nations Unies, les Etats-Unis l'avait déjà fait... le 22 octobre 1962. L'ambassadeur américain Adlaï Stevenson avait alors montré les photos des missiles russes installés à Cuba. Au grand dam de Valerian Zorine, l'ambassadeur soviétique, qui niait l'évidence.

En règle générale, les «services» n'aiment guère voir leurs renseignements utilisés ainsi. Car s'ils en apprennent un peu à l'opinion publique, ils en révèlent surtout beaucoup au pays espionné. Non pas sur le fond, mais sur la manière dont les informations sont recueillies. En révélant des conversations téléphoniques, une agence spécialisée comme la NSA (National Security Agency) indique à l'Irak le type de lignes téléphoniques sécurisées qu'elle est capable d'écouter et de décrypter. Evidemment, les Irakiens cesseront aussitôt d'utiliser ses lignes, privant les Etats-Unis de nouvelles informations. Depuis des semaines, la CIA et les autres agences traînaient les pieds, refusant de lâcher publiquement leurs renseignements. La présence du patron de la CIA, George Tenet, aux côtés de Colin Powell, indique que la Maison Blanche a finalement donné des ordres qui ne se discutaient plus.

Cela ne suffira pas à aplanir les profondes différences d'analyse entre les agences spécialisées américaines. D'un côté, les militaires de la Defence Intelligence Agency (DIA) sont les plus va-t'en guerre. Leurs principales sources sont les exilés et les opposants irakiens, «dont les informations sont peu fiables», constate un spécialiste européen. Plus modérée dans ses conclusions, la CIA travaille surtout avec d'autres services de renseignements bien implantés en Irak: ceux de Jordanie, d'Israël, de Russie et même d'Iran.

Reste le renseignement technique, avec toutes les limites qu'on lui connaît. Contre l'Irak, les Etats-Unis utilisent toute leur panoplie. Les satellites Key-Hole (photos et infrarouge) et Lacrosse (radar) scrutent le pays, alors que les grandes oreilles de la NSA écoutent sans relâche les communications. Mais Big Brother n'existe pas. Gros comme un autobus, un satellite KH-11 permet de compter les bidons que transporte une camionnette, mais pas de savoir ce qu'ils contiennent. Et la NSA butte toujours sur les informations qui transitent par fibre optique. Une tâche d'autant plus compliquée que les Irakiens, aidés par les Yougoslaves, sont passé maîtres dans l'art russe de la «maskirovska», le camouflage. Le renseignement fournit rarement des preuves, seulement la «meilleure vérité».

 

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