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AVERTISSEMENT

Ce document provient du site du Monde. Il date du 4 mars 2003.

 

Le nouveau monde des armes de destruction massive

Jacques Isnard

Les services de renseignement américains, tous autant qu'ils sont, se montrent pessimistes : les Etats-Unis sont en passe de perdre la bataille qui consistait à vouloir endiguer la prolifération d'armes de destruction massive dans les mains d'Etats sans foi ni loi ou de réseaux terroristes internationaux.

Ce diagnostic émane de George Tenet, qui, outre qu'il dirige la Central Intelligence Agency (CIA), est aussi officiellement le "patron" de l'ensemble de la communauté du renseignement aux Etats-Unis.

"Nous entrons dans un nouveau monde de la prolifération", a-t-il récemment expliqué aux élus du Sénat.

Pour au moins deux raisons principales. La première est qu'on assiste au "colportage par de nombreux acteurs non étatiques" de technologies et de matériaux contribuant à la fabrication d'armes nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC). La seconde raison est "un affaiblissement continu du consensus international" en matière de prolifération avec, par exemple, le retrait de la Corée du Nord du traité de non-prolifération nucléaire (TNP).

Apparemment, l'analyse est partagée par plusieurs des grands responsables des services américains.

Chacun à sa façon, ces derniers ont tenu des propos quasiment identiques au Sénat, qu'il s'agisse de Peter Teets, le directeur du National Reconnaissance Office (NRO), l'organisme qui traite le renseignement spatial ; de l'amiral Lowell Jacoby, le directeur de la Defense Intelligence Agency (DIA) au Pentagone ; ou du général Tommy Crawford, le directeur adjoint de la National Security Agency (NSA), qui intercepte toutes les communications dans le monde.

Aujourd'hui, les Etats-Unis, si l'on en juge par leur projet de budget 2004, allouent 3 milliards de dollars (2,8 milliards d'euros) à la lutte contre la prolifération via le Pentagone, le département d'Etat et le département de l'énergie, soit 21,1 % de plus qu'en 2003. De même, ils consacrent 36,2 milliards de dollars (33,6 milliards d'euros) à la prévention contre le terrorisme, soit une hausse de 24,1 % par rapport à 2003, via le nouveau département ministériel baptisé Homeland Security.

Malgré ces ressources financières en nette augmentation, notamment pour ce qui est de la recherche du renseignement humain, par opposition au renseignement technique, le directeur adjoint de la DIA, Phil Roberts, explique que la lutte contre Al-Qaida et la préparation des actions contre l'Irak mobilisent la majeure partie des capacités dans l'immédiat. Au risque de devoir sacrifier les autres moyens opérationnels, autrement dit la recherche à long terme en vue d'anticiper les menaces à venir.

Pour s'en tenir à un seul exemple, sait-on que la NSA se plaint de se retrouver démunie face à une situation de plus en plus compliquée dans le monde, quand elle doit trier ses renseignements au travers d'un échange de 5 millions de courriers électroniques à la minute, de la transmission de 35 millions de communications téléphoniques à l'heure et au travers de l'arrivée, chaque jour, de 50 000 nouveaux utilisateurs d'Internet ?

Nombre de questions, en effet, monopolisent actuellement l'attention des services américains, et celle de leurs alliés occidentaux qui partagent les mêmes craintes.

Depuis quelque temps, la prolifération des missiles sol-air portables, qui menaceraient le trafic aérien, et celle qui s'amorce pour des missiles de croisière sol-sol, permettant d'attaquer des villes ou un déploiement militaire terrestre, préoccupent les services américains. Ainsi, vingt-cinq pays dans le monde, selon M. Jacoby, possèdent ou sont en voie de détenir des armes de destruction massive et se sont lancés dans des programmes d'acquisition de missiles.

Théorie des dominos

A leur propos, M. Tenet a élaboré "la théorie des dominos", à savoir que la plupart des pays qui chercheraient aujourd'hui à en avoir sont des proches géographiques de pays qui en possèdent déjà. Un effet de contamination et d'autodéfense en quelque sorte.

De surcroît, les efforts des services pour repérer les technologies les plus menaçantes et les pays ou les réseaux qui en sont détenteurs se révèlent désormais assez vains. Nombre d'Etats ont la maturité scientifique et technique nécessaire pour concevoir de telles armes, et ils deviennent autosuffisants en se passant d'une assistance extérieure.

Or, jusqu'à présent, les services les ont longtemps surveillés en s'attachant à suivre à la trace le commerce illicite entre les clients et leurs fournisseurs éventuels.

Face aux sénateurs américains, M. Tenet s'est montré à la fois catégorique et lucide. "Nous constatons tous, vous et nous, les évolutions de cette situation, leur a-t-il expliqué. Ce n'est pas rien, c'est même très, très dur de vouloir toutes les contrôler. Nous ne sommes pas en état de vous dire que nous ambitionnons aujourd'hui de contrôler la situation avec célérité et réussite."

L'une des difficultés rencontrées et qui n'est pas la moindre, selon les homologues français des services américains, tient au fait que les pays ou les organisations suspectés d'être proliférants sont très souvent hermétiques à toute intrusion de l'extérieur qui permettrait de déceler les intentions des uns et des autres.

Soit il s'agit d'Etats policiers et autocrates, qui savent se protéger, décourager à l'avance les immixtions et qui sont experts dans l'art de la dissimulation. Soit il s'agit de réseaux ou de "nébuleuses" de réseaux impénétrables et cloisonnés, mais bénéficiant d'un soutien logistique suffisamment secret – sauf en matière de flux financiers, voire bancaires, longs à mettre au jour – pour donner le change et fonctionner au gré des besoins momentanés de la cause.

 

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