Echelon On Line

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AVERTISSEMENT

Ce document vient d'ici et portait comme indication "Article tiré du magazine Eurêka de février 1999 (n° 40) et écrit par Pascal Maupas".

Échelon: un réseau d'espionnage planétaire

 

Un satellite Iridium, cible potentielle d'Echelon

Dans le monde entier, les télécommunications (téléphone, fax, courrier électronique) sont massivement surveillées par un dispositif nommé ÉCHELON. Les services secrets des USA en tirent les ficelles avec l'appui formel de quatre autres pays. Le parlement européen s'apprête à rendre public un nouveau rapport accablant.

"Big Brother is watching you." Orwell ne croyait pas si bien dire. Les États-Unis, pratiquent des écoutes massives sur les communications du monde entier, en particulier celles des Français. Telle est la conviction exprimée par le Parlement européen dans sa dernière note sur le sujet (octobre 1998), de même que par nombre d'experts dans le domaine du renseignement militaire et économique. Exemple: prononcez au téléphone le nom de l'une des entreprises européennes les plus importantes : Airbus. C'est fait ! Vous êtes maintenant connus et surveillés par le réseau Échelon.

Ce système intercepterait au minimum "un million de communications par minute", affirme le professeur Alain Pompidou, député européen, président du Comité d'évaluation des choix technologiques et scientifiques (STOA) au Parlement européen et professeur à l'université René-Descartes. Le STOA est à l'origine de la première étude rendue publique sur le sujet (1997-1998), qui a alerté les responsables politiques et l'opinion. Elle reprend l'essentiel des informations apportées par le livre Secret power du journaliste néo-zélandais pacifiste Nicky Hager. Cet auteur a réussi à interviewer une cinquantaine de personnes très haut placées apportant de nouveaux éléments et précisions. Mais l'étude financée par le STOA n'avait fourni aucune preuve supplémentaire. Le Parlement européen s'apprête à pratiquer, en avril prochain, une piqûre de rappel, à l'aide de deux "études complémentaires plus ciblées et complètes qui portent l'une sur les risques d'abus des systèmes de surveillance vis-à-vis des libertés individuelles et de la démocratie, l'autre sur les risques d'abus de l'information électronique à des fins d'intelligence Économique", nous a confié Alain Pompidou.

Les Américains ont toujours justifié leurs surveillances secrètes de la même manière : la lutte contre le terrorisme, la drogue, le crime organisé et le blanchiment de l'argent sale. Les services secrets utilisent pour cela les technologies les plus innovantes. En réalité, qui pourrait penser que les États-Unis, lancés dans la conquête des marchés mondiaux, s'empêchent de manier de tels outils pour surveiller les grandes entreprises étrangères ? C'est désormais la principale raison d'être d'Échelon.

Un vide juridique international

Dans le plus grand secret, les grandes oreilles de l'Oncle Sam traquent tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à un gros contrat. Elles sont à l'affût de ce qui se trame dans le calme feutré des bureaux de La Défense ou le ronronnement climatisé des suites luxueuses des hôtels internationaux. Et cela dans la plus parfaite impunité : seules les écoutes terrestres (qui s'appliquent aux télécommunications par fils et câbles) tombent sous le coup de la loi, les interceptions électromagnétiques (télécommunications par ondes radio) correspondant à un vide juridique international. "Il devient urgent de mettre en place une coopération judiciaire internationale claire et transparente, un espace juridique mondial commun", scande Isabelle Falque-Pierrotin, maître des requêtes au Conseil d’état, spécialisée dans les nouvelles technologies.

Les États-Unis pratiquent l'art des écoutes célestes avec l'appui intéressé de leurs alliés. Et cette collaboration ne date pas d'aujourd'hui. "Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, en 1948, la Grande-Bretagne et les États-Unis ont noué un accord extrêmement important, UKUSA, qui leur faisait partager moyens et résultats", indique Olivier Forcade, professeur d'histoire du renseignement à l'école militaire de Saint-Cyr et à l'Institut des études politiques de Paris. Dès 1948, en pleine guerre froide, UKUSA (dont la teneur exacte reste encore secrète) a constitué pour les Américains et les Britanniques la possibilité d'espionner l'URSS et l'hydre communiste à grande échelle. Cette alliance a vite été rejointe par de nouveaux alliés : Canada , Nouvelle-Zélande et Australie. Au lendemain de la chute du mur de Berlin, à la fin de la guerre froide, le système a été transformé et rebaptisé Échelon, offrant aux USA et à leurs alliés une arme mieux adaptée dans le domaine de l'intelligence économique. D'autres pays participent indirectement à UKUSA, comme l'Allemagne, le japon, la Corée du Sud, la Norvège et la Turquie.

19 satellites surveillés

Comment fonctionne Echelon

Toutes les communications sont concernées - courriers électroniques, fax, télex et même les conversations téléphoniques -, en particulier celles qui sont relayées par les 19 satellites du consortium Intelsat.

"Les communications satellitaires peuvent être interceptées très facilement, rappelle l'amiral Pierre Lacoste, ancien directeur de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure). Un satellite, c'est comme une pomme de douche, il suffit de se mettre dessous et d'écouter ! Et ces interceptions se pratiquent en toute impunité. Les prises de vues ultraprécises par satellite bénéficient du même vide juridique alors qu'elles sont interdites depuis un avion, à plus faible distance."

Des soupçons plus graves encore pèsent sur le réseau. Selon Pierre Lacoste, qui vient de publier un ouvrage collectif, Le Renseignement à la Française, Échelon arrive également à "intercepter les communications diplomatiques" qui empruntent les réseaux ondes courtes. Des ondes hertziennes aux téléphones mobiles, il n'y a qu'un pas, que nombre d'experts franchissent allègrement. Les communications GSM seraient écoutées, et cela quelle que soit la fréquence utilisée, 1800 MHz chez Bouygues Télécom, 900 MHz chez les autres opérateurs, France Télécom et SFR. Pirater des liaisons par fibre optique reste en revanche beaucoup plus délicat, si ce n'est impossible, à réaliser. "Poser des "bretelles" sur leur trajet est très difficile. C'est en revanche techniquement plus aisé aux extrémités", indique Pierre Lacoste.

Le contenu des communications interceptées par Échelon est systématiquement, automatiquement et soigneusement analysé par les soins de la NSA (National Security Agency). Ce service secret américain, doté d'un budget annuel supérieur à celui de la CIA - entre 5 et 6 milliards de dollars selon les sources -, rassemble, exploite et distribue les informations provenant de "l'exploration électronique" pour le compte, entre autres, du département de la Défense américain (DOD). Il emploie près de 40 000 personnes dans le monde dont la moitié à son siège dans le Maryland.

Espionner les espions

Bien entendu, ceux à qui profite le crime ne se vantent pas de leurs exploits. Des exemples de l'efficacité de cette arme circulent pourtant, mezza voce, dans les milieux du renseignement. L'ancien patron de General Motors, José Ignacio Lopez, accusé d'être passé chez Volkswagen muni d'une valise bourrée de secrets industriels, aurait ainsi été démasqué grâce à Échelon. L'affaire s'est finalement soldée par un accord à l'amiable. Jean Guisnel, grand reporter au Point et auteur de Guerres dans le cyberespace, indique même que, en 1993-1994, la NSA a ainsi percé les conversations les plus secrètes du gouvernement français à propos du Gatt (General Agreement on Tariffs and Trade). Les négociateurs, parmi lesquels Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères, conversaient régulièrement avec leur cabinet parisien depuis des avions militaires Falcon sans que leurs communications soient cryptées. Échelon était là pour les intercepter...

Toutefois personne ne parvient à estimer avec précision l'étendue des dégâts. Difficile de savoir dans quelle mesure chaque type de télécommunication incriminé (satellite, câble et faisceaux hertziens terrestres) est touché. Difficile aussi de déterminer la proportion des communications mondiales acheminée par chacune des technologies. Aucune de ces questions n'a jusqu'ici trouvé de réponse précise et argumentée. Seul TèleGeography Inc., un cabinet d'études américain - discret quoique reconnu par l'IUT (Union internationale des télécommunications) - a publié une information chiffrée éclairante : 1,5 million de communications simultanées transitent via les dizaines de satellites internationaux (Intersat, Imnarsat...), constituent autant de cibles privilégiées et sans défense pour Échelon. Ce nombre gonflera encore à l’avenir, à mesure que les constellations de satellites commerciaux - Iridium, Globalstar, Ico, Celestri, Skybridge... - se mettront en marche et atteindront leur rythme de croisière dans la diffusion du téléphone et d'Internet.

La surdité française

Nous sommes donc tous, potentiellement, des victimes de l'Oncle Sam ! Dans notre pays, cette affaire ne fait pourtant pas grand bruit, drapée dans l'indifférence quasi générale des pouvoirs publics. "Je pense et j'ose espérer, confie Pierre Lacoste, que les dirigeants et les services secrets français ont pris la juste mesure de l'existence et de l’ampleur d’Échelon, connues depuis au moins 1992." Chez nos voisins britanniques, complices émérites des Américains, la tonalité est toute autre. Le site Internet de la Chambre des communes britannique, par exemple, relate un débat houleux lors duquel le secrétaire d’état aux Affaires étrangères et au Commonwealth a été vertement apostrophé à ce propos. De nombreux quotidiens allemands, hollandais et même américains ont également dénoncé ces atteintes à la vie privée.

Pourtant, comme dans toutes les affaires secrètes, aucune preuve ne peut être avancée. Comment démontrer la réalité d'un réseau qui n'a pas d'existence officielle et ne tomberait de toute façon sous le coup d'aucune loi ? Des voix s'élèvent d'ailleurs çà et là afin de nier son existence. "On n'en sait rien, il n'y a pas de preuves, tempête Philippe Caduc, directeur de l'ADIT (Agence pour la diffusion de l'information technologique). Ça tient du roman. Je n'arrive pas à prendre cela au sérieux. C'est énorme, indémontrable. Il n'y a rien dans ce dossier" Point de vue que rejettent catégoriquement les experts du renseignement. "C'est le réflexe de 80 % des Français et des énarques ! déplore Pierre Lacoste. Cela s'explique d'un côté par l'ignorance, de l'autre par une certaine arrogance intellectuelle. L’instrument Échelon existe bien, c'est indéniable. Il est aux mains de la NSA, dotée de moyens financiers gigantesques. Et maintenant que la guerre froide est révolue, il peut servir d'autres objectifs... Il ne faut jamais perdre de vue que le gouvernement américain fait constamment bénéficier le secteur privé des recherches effectuées à l'aide de crédits militaires considérables."

Les Américains ne sont d'ailleurs pas les seuls. La DGSE excellerait même à ce petit jeu. En accord secret avec les Allemands, les interceptions françaises effectuées depuis l'Hexagone, la Nouvelle-Calédonie ou la Guyane viseraient les mêmes satellites : Intelsat, Inmarsat et même, selon une source militaire haut placée, Arabsat. Les engins placés en orbite au-dessus du territoire américain seraient également visés. "La production de ces interceptions, affirme Jean Guisnel, est transmise confidentiellement aux PDG de quelques dizaines d'entreprises en compétition sur les marchés internationaux." Mais les moyens techniques et financiers français ne sont rien face à ceux de la NSA !

Une seule parade: crypter les communications

La cryptologie constitue aujourd'hui la seule parade pour ceux qui souhaitent se soustraire aux oreilles indiscrètes qui les espionnent dans le monde merveilleux de la technologie. Cette science, qui remonte à l'Antiquité, consiste à transformer un message en une suite de caractères incompréhensibles. Seul celui qui détient la "clé" secrète pourra lire le message. Les logiciels actuels de cryptographie chiffrent les messages (écrits, vocaux ... ) à l'aide de codes secrets fondés sur des travaux mathématiques de haute volée. Dans tous les pays, ils sont assimilés à des armes de guerre et font l'objet d'une réglementation très stricte. Aux États-Unis par exemple, PGP (Pretty Good Privacv), l'un des systèmes réputés inviolables, est interdit d'utilisation et d'exportation. En France, les cryptosystèmes dits forts (codage sur 124 bits, 256 bits ou plus) tombent sous le coup de la loi : un double des clés secrètes doit être placé sous séquestre chez des tiers de confiance agréés par l’état. Seuls les pouvoirs exécutif et judiciaire y ont théoriquement accès dans le cadre d'affaires criminelles Les cryptosystèmes dits faibles (40 bits ou 56 bits) nécessitent d'obtenir une autorisation.

Toute la question est maintenant de savoir si ces contraintes permettront que l'article 12 de la Déclaration universelle des droits de l'homme soit respecté : "Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance." Ce texte a été ratifié par les États-Unis et l'Angleterre l'année même où ils ont scellé l'accord UKUSA...

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