La place de la NSA en Europe
Depuis ce 25 avril, la célèbre plaisanterie qui consistait à traduire lacronyme NSA par la formule Never Say Anything appartient définitivement au passé. Comme lannonçait en exclusivité Le Monde du Renseignement dès le 8 février, les derniers documents de lenquêteur James Bamford, sortis ce jour-là, révèlent des pans entiers de lhistoire de lagence de renseignement souvent parfaitement inconnus. Un coup de maître. Après avoir publié en 1982 Puzzle Palace : le premier livre à présenter globalement les activités de la NSA, Bamford réitère donc avec Body of Secrets (disponible aux Etats-Unis, ISBN: 0385499078), premier ouvrage du genre à énumérer très précisément les missions les plus importantes menées par la NSA au cours des trente dernières années. Ses descriptions sappuient sur quantité de documents confidentiels, et sur plusieurs témoignages danciens officiers. Alors que la Commission temporaire sur le système Echelon du Parlement européen se déplace cette semaine à Washington pour entendre des responsables politiques au sujet des écoutes effectuées par lagence sur des décideurs européens, ces révélations fournissent quantité darguments à ceux qui souhaitent un large débat sur la portée des moyens de la NSA. A propos des types dobjectifs assignés à lagence de renseignement, Bamford lève un tabou en confirmant lexistence dopérations de surveillance sur des sociétés et des diplomates de pays alliés. Evoquant les tensions récurrentes entre la France et les Etats-Unis sur ces questions despionnage, il explique que les communications des membres de la diplomatie française sont régulièrement et rnassivement interceptées. Selon lui, dans les rapports découtes de lagence qui retranscrivent les communications, celles-ci sont désignées par les lettres FRD (pour French Diplomatie). Au sujet des entreprises, Body Secret reconstitue les opérations exécutées par la NSA contre la firme Microturbo SA, installée à Toulouse, dans le sud-ouest de la France. Une société de haute technologie, spécialisée dans la conception de turbines à gaz de très faibles dimensions, généralement employées pour les missiles ou les drones. Les dirigeants de cette filiale de la Snecma ont été placés sous surveillance par la NSA de mai à novembre 1997. Pour les personnalités proches de lagence interrogées par Bamford, cette opération sexpliquait par une vente de turbines à lIran réalisée par Microturbo dans les années 80, et destinée à équiper des missiles que Téhéran venait dacquérir en Chine. Explication étonnante... Pour des écoutes diligentées dix ans après les faits censésles justifier. Pourtant, à la même époque, dautres activités de Microturbo ne manquaient pas dintéresser le Pentagone - donneur dordres de la NSA. Ainsi, entre mai et novernbre 1997, lentreprise développait le système de propulsion du futur missile de croisière Scalp EC. Un engin novateur dont lensemble des composants dépend dindustriels européens, donc commercialisable à lexport sans négociations préalables avec des pays tiers. Parmi les nombreuses autres révélations du document de James Bamford: les liens très particuliers de la NSA avec Cisco, leader mondial des systèmes de routage pour Internet. Le quartier général de Fort Meade considère en effet cet industriel comme une cible prioritaire, puisquil gère aujourdhui la rnajeure partie des nuds de communication (les routeurs) de la planète sur lesquels fonctionne llnternet. A cet égard, le travail de lagence consiste depuis plusieurs années à implanter et entretenir des systèmes de reverse engineering, cest-àdire des dispositifs dinterception agissant directement au niveau de ces entonnoirs de communication que constituent les routeurs pour un pays ou un continent. Pour preuve des fortes relations de confiance existant entre la multinationale et lagence étatique, Bamford cite le cas dun ingénieur de Cisco, récemment recruté par la NSA comme conseiller senior, afin de coordonner le programme de modernisation de ses systèmes découtes, répondant au nom de code de Project Trailblazert.
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